Chacun son monde, chacun ses chemins

Mars 2023

Des pierres qui roulent sous nos propres pas, deux chamois femelles qui filent sous nos yeux. Le cœur qui se serre de les savoir dérangées… Et de cet instant précis, une rocambolesque réflexion philosophique que je n’avais pas vue venir.

La journée était parfaite. Les couleurs d’automne flamboyantes, le soleil enveloppant. Le temps idéal pour observer la faune sauvage. A la suite d’une rencontre avec un photographe animalier, nous voulions tenter l’expérience mon mari et moi. Mais même si l’intention est louable et chargée de respect et bienveillance, force est de constater que sa réalisation n’est pas toujours idéale.

Nous quittons notre village dans la plaine du Rhône, en Valais, pour nous élever jusqu’à 2000 mètres d’altitude. Munis de jumelles et d’un télescope, nous remontons une combe par un sentier bien tracé avant de bifurquer et commencer nos pérégrinations sauvages. 

La pente est importante, le terrain un mixte entre pierriers et rhododendrons. Premier constat: si mon mari gambade devant moi, je me sens tel un éléphant dans un magasin de porcelaine. Comment nous, homo sapiens, sommes-nous devenus si maladroits sur des terrains naturels? J’ai l’habitude du hors sentier, je pratique l’alpinisme et la randonnée, mais à chacun de mes pas, le bruit me trahit. Même si j’ai envie d’y croire, je ne progresse pas avec l’agilité d’une étagne. Et encore moins avec le pas chaloupé et silencieux d’une renarde.

Bref. Je redouble donc d’attention pour me faire discrète.

Vient l’heure de traverser un grand pierrier. Après quelques pas, nous sommes interrompus par des cliquetis venant du haut. Ce sont ces deux chèvres qui fuient. Qui nous fuient. A vouloir les admirer, nous les avons incommodées.

Ce jour-là, nous sommes seuls sur ces pentes à serpenter entre des mélèzes en feu. Ces deux femelles vont s’en remettre. Il n’y a pas encore de neige et la nourriture leur est encore accessible.

Mais si nous étions vingt, dix ou même cinq à vouloir observer nos colocataires des montagnes au même endroit? Peut-être que ce ne serait pas deux mais dix chèvres qui auraient dû fuir. Peut-être même des petits qui auraient dû mobiliser un maximum de ressources.

De retour sur le sentier, nous croisons d’autres promeneurs. Et mes sentiments se mélangent. A la nostalgie de réintégrer le chemin aménagé pour les bipèdes, se superpose la douceur de savoir l’espace des bouquetins, des chamois, des lagopèdes ou des marmottes, vierge de toute présence humaine. 

Je me dis qu’un jour, je réitérerai sûrement l’expérience. Mais je me promets d’ici-là d’en apprendre davantage sur les codes à adopter pour percer le monde sauvage avec plus de respect. Pour que la cohabitation soit la plus saine possible.

Et tout en déroulant mes pas avec légèreté, je me demande si cela n’est pas un vœu pieu. Un rêve d’idéal romantique où l’homme et le loup chemineraient côte à côte en paix.

Ne devrais-je pas finalement admirer ces bêtes de loin? Me contenter de les deviner depuis les sentiers balisés au lieu de pénétrer un monde qui n’est pas le mien?

 

Découvrez le PDF de la chronique rédigée pour le magazine randonner.ch, avril 2023.