Que gagnons-nous à perdre du temps?

Décembre 2023

Cette fois, ça y est, l’été s’est éteint. Après de longs mois, il a enfin cédé sa place aux giboulées d’automne. L’occasion de jeter un coup d’oeil en arrière, sur ces premiers mois à exercer en tant qu’accompagnatrice en montagne. Quelles saveurs se dégagent de ce temps passé là-haut?

Avant tout, il y a le plaisir des échanges. Ce contact humain que j’abhorre dans de grands rassemblements prend une autre saveur en altitude.
En montagne, dépouillés du superflu, notre fonction sociale, notre salaire mensuel ou la marque de notre voiture importent peu. Le sentier est le même pour tout le monde, tout comme la soupe au refuge.

Puis, dans le corps, un changement s’est opéré. De ces journées à l’air libre se dégage un nouvel équilibre.
Marcher, c’est revenir à notre rythme naturel. Dans une société où tout s’est accéléré dès la création des premières routes et tunnels tracés en ligne droite, là où le marcheur devait auparavant épouser les courbes du paysage, ralentir est devenu un luxe.
C’est s’accorder au pouls de la Terre, pour citer le célèbre ingénieur forestier Ernst Zürcher. Dans son ouvrage qui nous invite à renouer avec le vivant au rythme de nos pas, il rappelle que la pratique de la marche réactive dans notre mémoire collective la période de nomadisme. Ce premier âge de la civilisation humaine qui représente 99,7% de l’histoire humaine.

En se penchant sur la question de la récente accélération temporelle, le philosophe allemand Harmut Rosa questionne «Que perdons-nous à gagner du temps?». Augmentation du stress, surmenage, exploitations des ressources terrestres supérieures aux processus de régénération naturels… Les réponses sont aussi évidentes que désolantes.

Désormais, après un été sur les hauteurs, je sais ce que l’on gagne à «perdre du temps». A ne parcourir qu’une quinzaine de kilomètres dans la journée, affrontant successivement le vent, le soleil ou la pluie.

Retrouver le tempo du bipède offre des bénéfices inestimables. Cela permet de synchroniser nos rythmes internes. Dans l’effort, nous mobilisons pleinement notre capacité pulmonaire. Grâce à cette oxygénation plus intense, les tissus et organes du corps entier se retrouvent mieux irrigués. Les battements cardiaques, qui peuvent s’intensifier dans un premier temps, finissent par se régulariser.
C’est finalement tout le métabolisme qui s’accorde avec cohérence.
Et pour peu que l’on consente à ôter nos chaussures, le contact avec le sol naturel et irrégulier produit l’effet d’une séance de réflexologie.

Evidemment, en marchant, toutes ces réactions chimiques ne sont pas forcément évidentes. Les émotions qui s’apaisent, le calme intérieur et la clarté mentale qui émergent sont, en revanche, facilement perceptibles. Ainsi, en choisissant la lenteur, nous avons tout à gagner.

Désormais, l’automne est là et les jours se font plus courts. Cette saison est la période propice à la décélération. Sortez, explorez, respirez. Puis savourez le retour au coin du feu de cheminée. Cet élément nous ramène lui aussi à la lenteur et à l’élémentaire, nous reliant ainsi à la longue lignée de nos ancêtres.

 

 

Découvrez le PDF de la chronique rédigée pour le magazine randonner.ch, décembre 2023