La balade du grain de sable
Mai 2024
Ce jour-là, j’enfilais mes baskets les sourcils légèrement froncés, l’esprit occupé. Je m’octroyais une heure de balade dans la forêt pour oxygéner mes neurones proches de la surchauffe. Traiter des mails, payer des factures, rendre un article à temps, faire un gâteau pour une visite chez des amis… Bref, je courais après le temps, discipline que nous sommes apparemment nombreux à pratiquer, contre notre gré.
Au moment de quitter mon domicile, mon regard s’est posé sur le dernier numéro de ce magazine. En première page, ce titre «Pourquoi nous randonnons». Sans trop réfléchir, des bribes de réponses me sont apparues: pour découvrir de nouveaux paysages, pour me ressourcer ou partager du temps entre amis.
Bref, j’ai attaqué ma petite randonnée du jour, le pas pressé et les muscles frontaux toujours légèrement contractés. L’activité mentale se maintenait à une certaine intensité. Il fallait que je fasse vite et bien pour reprendre aussitôt mes affaires courantes.
Puis j’ai repéré sur le sol bruni de feuilles mortes ces petites fleurs violettes. Les anémones hépatiques! Elles sont là! Elles ont déjà fait leur place au soleil dans le sous-bois.
Mon attention s’est ensuite portée sur cette conversation endiablée entre deux oiseaux. Deux rouges-gorges semblaient délimiter farouchement leur territoire.
A ce moment-là, j’ai souri intérieurement. Mon front s’est relâché, ma mâchoire desserrée. Je me suis rendue compte que cette randonnée m’offrait un pas de côté plus que nécessaire.
Franchement, est-ce que l’anémone a attendu que ma comptabilité soit à jour pour pointer le bout de son nez? Est-ce que les passereaux sont en train de disserter sur le thème de ma chronique? J’en doute fort!
L’hiver a cédé sa place au printemps, les arbres débourrent et la terre continue de tourner. Adossée à un hêtre probablement centenaire, je porte mon regard au loin. Il rencontre la crête sud des Alpes, dont les cimes encore blanches se démarquent nettement sur le fond azur. Ces reliefs se sont érigés il y a 30 millions d’années. L’espérance de vie en Suisse se situe autour des 80 ans. A nouveau, je souris.
Je ne suis qu’un grain de sable. Un petit sursaut dans cette grande valse de la vie. Voilà qui aide à relativiser. Loin d’être une ode au minimalisme, car il est à mes yeux important d’accorder du soin à ce que l’on fait, ce rappel est une invitation à dézoomer, à se décentrer. A se lâcher la grappe pour le dire plus franchement. Un exercice peu aisé dans une société anthropocentrée, où la performance et le perfectionnisme sont érigés en valeurs cardinales.
Peut-être trouvez-vous ma chronique imparfaite? C’est possible. Mais je tiens fort à parier qu’entre son écriture et votre lecture, les bourgeons des arbres se sont déployés et que la terre a continué son inlassable voyage autour du soleil. Alors respirons!
Découvrez le PDF de la chronique rédigée pour le magazine La Randonnée, mai 2024