De la to-do list à l’étoile du berger

Mai 2023

Ecrire la chronique. Ce rappel est une des nombreuses lignes de ma to-do list. Vous savez, ces récapitulatifs de tâches devant lesquelles on dessine innocemment un petit carré, une case à cocher.
A écrire, à envoyer, à corriger, à répondre, à payer… Pour échapper à la tyrannie du faire, de la cafetière et du tiroir à chocolats, j’ai décidé, pour cette chronique, de prendre la tangente et de partir marcher en forêt.
Dans la nature, baskets aux pieds, il n’y a pas à chercher l’inspiration. Il y a juste à ouvrir les yeux et tendre l’oreille.

J’ai certainement bénéficié de la chance de la débutante mais ce jour-là, la magie a effectivement opéré. La journée touchait à sa fin, le ciel rosissait de cette lueur crépusculaire. Devant ce spectacle éphémère, je suis restée hypnotisée sous cette voute céleste en transition, cherchant comme une enfant le scintillement de l’étoile du berger. La première à apparaitre lorsque le soleil s’efface.

Cet instant, entre chien et loup, entre le jour qui fut et nuit qui sera, est un moment suspendu. En sanskrit, on appelle cela un «sandhya», une transition. On en retrouve dans le rythme des saisons, dans le cycle des végétaux et dans notre corps.

Sur l’année, le printemps représente ce point de bascule. Comme une valse en trois temps – deux pas vers la chaleur de l’été, un pas en arrière vers l’hiver – il contient toute l’énergie de l’éveil. La promesse d’un nouveau cycle. Les bourgeons des arbres se gonflent de leur puissance de vie. La plante vivace est prête à percer la terre, une nouvelle fois. J’aime cette saison car si rien n’est encore acquis, tout semble possible. Les graines germent. La nature sort de sa dormance.

Dans le corps, ces moments suspendus se déploient entre l’inspiration et l’expiration. Pour les sentir, il faut entrer en intimité avec le souffle. Et tout naturellement, durant ces quelques secondes, le mental s’arrête. Le tourbillon de la pensée s’éteint et l’espace semble se dilater.

Dans une journée ordinaire, il y en a par dizaines de ces instants suspendus qui défient le temps. Il y a l’odeur de la pluie après une averse d’été. Le silence entre deux mots. Un regard complice avant un éclat de rire. La vision furtive d’un animal sauvage avant qu’il ne se sauve.

Ces moments fugaces captent toute notre attention, tout notre être. Nul besoin de se forcer, ils nous absorbent. Ils nous extraient un instant de notre espace-temps où la productivité règne en maître.

De retour de la forêt, je me suis trouvée bien inspirée pour disserter sur ces «sandhya». Et voilà que faire l’éloge de ces intervalles hors-temps m’a permis de cocher une case. La chronique est écrite. Et j’empoigne la ligne suivante de ma to-do list. Inspirer. Expirer.

 

Découvrez le PDF de la chronique rédigée pour le magazine randonner.ch, mai 2023.