Alors, il est où mon refuge?

Avril 2023

Travailler comme journaliste, c’est souvent l’opportunité de rencontres privilégiées. Mais c’est aussi se confronter à des réalités pas toujours très gaies. Pénurie d’énergie, records successifs de température, effondrement de la biodiversité. Belle ambiance, dis donc!

Souvent, je ferme l’ordinateur et mon esprit passe à autre chose. Apparemment, nous avons une faculté bien spécifique de nous distancer des nouvelles qui nous dérangent.

Mais parfois, je traine une lourdeur dans le coeur alors que j’aimerais juste aller balader l’esprit léger. Je me demande alors si je ne suis pas trop sensible pour ce métier-là. Je me dis qu’être accompagnatrice en montagne, ça sera bien plus facile: des fleurs, des animaux, des sommets et des gens contents. Pas plus compliqué que ça, n’est-ce pas?

Mais une petite voix me souffle que ce tableau n’est pas très réaliste. Bien sûr, je m’émerveille comme une enfant devant le bourgeon effilé du hêtre prêt à dévoiler ses nouvelles feuilles en panache ou face aux traces d’un lagopède. Mais ma lucidité, qui ne se tient jamais bien loin, me rappelle aussi la pression que la nature subit en permanence.

Bon alors, au milieu de ce monde sans licornes ni paillettes, il est où mon refuge? Cet endroit où je peux me reposer et enfin dire «tout est parfait, à jamais» !

Plus je le cherche et plus je sens que je ne le trouverai pas. Du moins, pas physiquement, ni éternellement. On a beau s’ensauvager au fin fond d’une vallée, on finit tôt ou tard par être rattrapé par un groupe de fêtards ayant trouvé le spot idéal pour leur rave party. Si, si, je vous jure…

S’il n’est pas à l’extérieur, alors je n’ai pas d’autre choix que de le chercher dedans, ce fameux refuge. Méditation, postures tête en haut, tête en bas, respirations, j’en ai expérimenté des pratiques à la recherche de la paix absolue.

Dans cette quête, une lecture m’a définitivement ouvert les yeux, au sens propre comme figuré. Un penseur indien nommé Krishnamurti nous dit que notre liberté réside dans notre disposition à poser un regard neuf sur les choses.

Et ça, je le comprends. Je sais que mon refuge se tient juste là.

Il est mouvant et suit mon regard. Il se niche dans ma capacité à suivre le bal d’une mésange sur le seul arbre d’une place goudronnée. Ou à sentir la puissance vitaminée des beaux fruits rouges de l’églantier qui m’accueille chaque matin devant la gare. Il est dans ces petites pulsations de vie qui sont là, malgré tout.

Il y a certes des jours où je ne vois que le bitume et l’acier des rails. Mais ça aussi, c’est la nature. Parfois la lune est claire, parfois elle est noire. La terre tourne, le soleil tourne, les planètes tournent. Rien n’est jamais figé. Et encore moins mes ressentis. Alors, autant accepter de valser. Tôt ou tard, le regard se posera sur ce petit brin de vie. Un papillon, une fleur, une profonde respiration. Et la bonne nouvelle, c’est que finalement, plus ou moins grands, les refuges sont partout. Juste là, sous nos yeux.

 

Découvrez le PDF de la chronique rédigée pour le magazine randonner.ch, avril 2023.